Il est vrai que les concerts de Draconian se font plutôt rares ces derniers temps. Pour célébrer leurs trente ans, la formation suédoise marque l’événement avec une tournée anniversaire simplement intitulée : 30th Anniversary Tour. Un moment privilégié pour revivre (ou redécouvrir) les classiques du groupe, désormais accompagnés de Lisa Johansson, revenue à son poste de chanteuse en 2021. Sous le signe de la noirceur, cette affiche offre également une belle opportunité de découvrir la douceur progressive des Grecs de Fragment Soul, dont l’approche contraste parfaitement avec la puissance brutale des Allemands de Nailed to Obscurity et enfin pour clôturer cette soirée en beauté, avec le Gothic Doom Metal des suédois de Draconian.
La soirée commence en douceur avec la douceur sombre des Grecs de Fragment Soul. Leurs sonorités voguent entre un Metal Doom progressif et mélancolique, installant immédiatement une ambiance particulièrement planante et prenante. On retrouve ici un point commun avec Draconian : la présence de deux protagonistes (féminin et masculin) au chant, mais avec une différence notable dans leur pureté et leur douceur vocale. Loin du chant hurlé, Tamara et Marc forment un duo captivant et hypnotisant, porté par la profondeur d’une musique résolument progressive. Les morceaux sont particulièrement longs, à l’image des audacieux ”A Soul Inhabiting Two Bodies” et “A Choice Between Two Evils”, chacun durant plus de dix minutes ! Sans oublier trois titres issus de leur nouvel album “Galois Paradox” : “All That I Despise”, “Eternal Night in Death” et “The Pain Ceased”, tous marqués par cette douceur mélodique fidèle de leur musique. Fragment Soul ne semble pas être une première partie destinée à chauffer le public avec une énergie débordante. Cependant, ils touchent particulièrement nos cœurs et nos émotions avec une musique profonde et poignante. Une belle entrée en matière, rapidement brisée par un changement de tonalité avec le groupe suivant.
L'adrénaline monte d’un cran avec la noirceur envoûtante du Doom/Death Metal des Allemands de Nailed To Obscurity. Pendant une quarantaine de minutes, la formation captive le public avec des rythmiques tantôt incisives, tantôt lancinantes. La brume s’installe dès l’ouverture sur “King Delusion”, révélant à la fois leur technicité et leur capacité à créer des contrastes saisissants. Les morceaux s’enchaînent avec une alternance parfaitement maîtrisée : des rythmiques puissantes et percutantes sur “Clouded Frame” et “The Aberrant Host”, contrebalancées par des passages plus aériens, mais toujours imprégnés de noirceur, comme “Deadening” ou “Resonance”. Si leur dernier album, “Black Frost”, remonte à 2019, le groupe a également offert quelques nouveautés, déjà familières mais toujours efficaces, avec l’addictif “Clouded Frame” et la légèreté de “Liquid Mourning” (tous deux sortis en 2022). De quoi faire espérer un nouvel album très prochainement ! En somme, cette prestation sombre et parfaitement exécutée, confirmant tout le talent de Nailed To Obscurity, qui a réussi à séduire l'audience.
Le clou de la soirée va enfin débuter à 21h30 tapantes avec les Suédois de Draconian. Avant d'évoquer leur prestation, qui fut riche en émotions, une aparté s'impose. J’ai découvert la formation en novembre 2020 avec la sortie de “Under a Godless Vei”, un album qui m’a aussi bien émerveillée que bouleversée. Je suis tombée amoureuse de l’univers sombre et poétique du groupe, sublimé par la voix pure et envoûtante de Heike Langhans (bien qu'elle ait quitté le groupe depuis pour se consacrer à d'autres projets, a laissé une empreinte indélébile sur deux albums). Lisa, quant à elle, avait déjà marqué les premiers albums, et son talent va se (re)confirmer durant la soirée. Si cette découverte, survenue un peu par hasard alors qu’une période sombre de ma vie arrivait subitement. La musique de Draconian a alors été un véritable soutien. Revoir le groupe quatre ans plus tard à la même période, à remué quelque peu le couteau dans la plaie, mais cela a permis indirectement de mettre davantage en lumière la beauté sombre et envoûtante de leurs mélodies.
Revenons alors sur cette prestation riche en émotions et en surprises. Les Suédois montent sur scène et frappent très fort dès l’ouverture avec “The Cry of Silence”, extrait de leur premier album. Dépaysement et surtout nostalgie garantis pour les fans de la première heure ! Pendant une heure et demie, une atmosphère pesante s’installe, portée par des riffs mélodieux et désespérés, une mélancolie profonde : tous les ingrédients du Doom Gothic sont réunis et sublimés par des musiciens habités par une énergie palpable. Mais surtout les yeux sont rivés sur les deux protagonistes principaux : Le mystérieux Anders Jacobsson, sous sa capuche, se cramponne à son pied de micro, délivrant un growl si profond et caverneux qu’il contraste avec la douce intensité vocale de Lisa Johansson. Au fil de la soirée, elle va se dévoiler avec une technique irréprochable et une émotion à fleur de peau. Si l’on peut reprocher aux albums un chant féminin parfois en retrait, sur scène, c’est tout l’inverse : Lisa occupe pleinement l’espace, son impact grandissant à mesure que les morceaux s’enchaînent. Ensemble, Anders et Lisa forment un duo charismatique évoquant un jeu fascinant entre la Bête et la Belle, fusionnant à merveille avec des mélodies sombres, des rythmiques impeccables et un lyrisme à la fois poétique et dramatique.
Quant à la setlist, elle s’impose comme un véritable raz-de-marée d’émotions. Chaque album de leur discographie est représenté, à l’exception de “The Burning Halo”. Le groupe alterne habilement entre des morceaux puissants et habités, tels que le romantisme de "Bloodflower", la fragilité de “Morphine Cloud” et “Heavy Lies the Crown”, ou encore l’obscurité oppressante de “Daylight Misery” contrastant avec la lumineuse ballade “Night Visitor”. Cette dernière apporte une accalmie au cœur du set, comme une parenthèse suspendue, mettant une fois de plus en lumière tout le potentiel de Lisa.
Parmi les moments forts, citons également “Pale Tortured Blue”, le morceau préféré de Lisa. Bien qu’appartenant à l’ère Heike, elle en offre une interprétation grandiose, pleine de sensibilité et de puissance. Enfin, “Death, Come Near Me”, annoncé comme un voyage de 15 minutes par Anders, n’en dure finalement que 12, mais l’intensité émotionnelle de cette pièce semble suspendre le temps. Enfin le ténébreux “The Sethian” (mon morceau favori de “Under a Godless Veil”) clôture la soirée avec une puissance percutante et mémorable. Une nouvelle fois, Lisa se l’approprie avec une performance vocale magistrale qui garantit des frissons.
La soirée se referme sur cette note aussi sombre que poignante. Les douze morceaux, empreints de noirceur mais aussi d’une beauté indéniable, ont défilé à la vitesse de l’éclair. Après mon premier concert au Hellfest (2021), relativement court mais très spécial en raison du passage de flambeau (ou plutôt de micro) entre Heike et Lisa, cette prestation d’une heure et demie a offert une durée idéale. Suffisamment longue pour savourer pleinement la richesse de leur discographie et, surtout, pour confirmer que Lisa a totalement retrouvé ses repères au sein de la formation.
Pour conclure simplement : Draconian a sublimé la soirée, offrant un voyage unique entre mélancolie et noirceur. C’était beau, sombre et riche en émotions.
Retrouvez l'ensemble de la galerie photo ici
En remerciant Tom VM pour les photos, Mike de Coen (Hard Life Promotion) et Napalm Records pour l'accrédition